Dans une opération de fusion-acquisition, les regards se tournent d’abord vers les enjeux juridiques, financiers, RH. Le service informatique, lui, arrive souvent après coup, comme un sujet secondaire à traiter “une fois que tout le reste est calé”.
Pourtant, c’est bien par lui que la réalité opérationnelle du rapprochement se matérialise. C’est par lui que les synergies espérées se concrétisent… ou s’écroulent.
Accès aux outils, sécurité des données, continuité des services, harmonisation des systèmes, adaptation des processus : tous ces éléments s’inscrivent dans une organisation IT souvent mise sous pression. Et toutes ces dimensions reposent sur les épaules du responsable des services informatiques (RSI) ou du directeur des services informatiques (DSI), souvent dans l’ombre. C’est pourtant lui qui devra affronter les défis techniques, humains et politiques liés à l’intégration. Et lui qui deviendra, en cas d’échec, le fusible tout désigné.
Ce que beaucoup de directions oublient : le RSI ne gère pas juste des migrations techniques. Il est garant de la sécurité, de la traçabilité, de la résilience, et à sa manière, du climat social dans les équipes. Il doit donc être associé dès les premières étapes stratégiques du projet.
Cet article propose une grille de lecture claire et actionnable pour repositionner le rôle du RSI dans une fusion d’entreprise. Comment anticiper les chantiers ? Comment faire entendre sa voix ? Quelles erreurs éviter ? Et surtout : comment éviter que l'informatique devienne l’angle mort d’une transformation stratégique.
Pourquoi l’IT est souvent le parent pauvre des fusions… et pourquoi c’est un problème ?
Malgré leur potentiel stratégique, les opérations de fusion sont rarement un long fleuve tranquille. Selon une étude d’Accenture, 40 % des fusions sont réalisées sans prise en compte préalable de l’IT, et dans plus de 60 % des cas, les objectifs initiaux (synergies, réduction des coûts, gains d’efficience) ne sont pas atteints. Pourtant, lorsque l’intégration informatique est correctement orchestrée, le taux de réussite des fusions grimpe à 70 %.
Mais dans les faits, les directions informatiques sont encore trop souvent tenues à l’écart des premières discussions stratégiques. Le RSI découvre le l'opération quand tout est déjà décidé — budgets, délais, architecture cible — et qu’il ne reste plus qu’à “raccorder les tuyaux”. Ce décalage crée un angle mort majeur dans le pilotage du changement.
Un chaos invisible mais bien réel
Quand l’IT n’est pas embarqué dès le départ, les problèmes ne se manifestent pas immédiatement. Ils émergent après la signature, dans l’opérationnel :
- Des outils redondants ou incompatibles ;
- Des comptes utilisateurs non alignés ou dupliqués ;
- Des accès laissés ouverts dans les deux SI, sans contrôle ni traçabilité ;
- Des workflows critiques qui tombent à l’eau (onboarding, paie, support) ;
- Une dette technique qui s’accumule, car la priorité a été mise ailleurs.
Ce désordre applicatif finit par impacter tous les métiers. Les utilisateurs jonglent entre plusieurs environnements, les équipes support croulent sous les tickets, les managers perdent confiance. Et en cas d’audit ou d’incident de sécurité, c’est la DSI qui est sur le banc des accusés.
Le SI comme miroir grossissant des dysfonctionnements
En période de fusion, les tensions organisationnelles sont fréquentes. Chacun tente d’imposer ses outils, ses standards, sa culture. Dans ce contexte, le système d’information devient vite le révélateur des désaccords et la cible des frustrations. Comme le souligne Pierre Hichem Mrabet, ancien DSI :
“Tout dysfonctionnement dans l’opération de fusion trouvera sa cristallisation sur le SI.”
Ce sont les lenteurs de connexion, les erreurs dans les droits, les doublons de comptes qui symbolisent, aux yeux des utilisateurs, l’échec de la fusion. Et c’est le RSI qui en porte la responsabilité — même s’il n’a pas eu la main sur les décisions clés.
Ne pas intégrer l'informatique dès les premières étapes, c’est donc prendre le risque de voir la fusion échouer dans les détails techniques, loin des slides PowerPoint du COMEX.
Le RSI : maillon technique ou acteur stratégique ?
Dans une fusion, le RSI est souvent perçu comme un simple opérateur de raccordement. Une figure technique, chargée d’exécuter ce que d’autres ont décidé. Or cette posture subie est précisément ce qui le fragilise. Car si l’IT est tenu à l’écart des décisions initiales, c’est presque toujours lui qui se retrouve exposé quand lesproblèmes apparaissent.
La réalité, c’est que le RSI est bien plus qu’un exécutant. Il est le seul à avoir une vue transversale sur les systèmes, les processus, les flux de données et les interdépendances. Il est aussi le garant de la continuité d’activité, de la cybersécurité, et de la cohérence des accès. Son rôle est donc fondamental pour sécuriser et structurer la convergence.
Le RSI doit imposer l’IT comme un sujet stratégique
Comme le rappelle Pierre Hichem Mrabet, le RSI ne peut plus se contenter d’accompagner :
“Ne soyez pas dans l’accompagnement, mais dans la proactivité. Invitez-vous dans les réunions Métiers, écoutez, proposez des solutions.”
En clair, il faut changer de posture. C’est au RSI de poser les bonnes questions :
- Quels sont les SI critiques de chaque entité ?
- Quelles dépendances applicatives faut-il préserver ?
- Quels risques d’accès ou de fuites de peuvent surgir ?
- données
- Comment garantir une gestion propre des identités dans un SI transitoire ?
Et c’est aussi à lui de remonter les alertes : sur les coûts cachés, les délais irréalistes, les chevauchements d’outils ou les dérives de gouvernance. Cette légitimité ne s’improvise pas. Elle se construit par la capacité à parler métier, à anticiper les scénarios et à proposer des alternatives réalistes.
La double légitimité : technique et politique
Ce positionnement stratégique du RSI suppose aussi une légitimité politique. Trop souvent, le futur organigramme est communiqué tardivement, laissant les équipes informatiques dans le flou. Or, sans visibilité, pas d’adhésion. Sans RSI identifié, pas de pilotage cohérent.
Donner un siège au RSI dans les comités de pilotage, c’est envoyer un signal fort : l’IT est une brique de valeur, pas une variable d’ajustement. C’est aussi un moyen de sécuriser les décisions technologiques avant qu’elles ne soient prises sur des bases purement politiques ou RH.
Enfin, dans des contextes où la sécurité, la conformité RGPD ou la résilience opérationnelle sont surveillées de près, le RSI devient un pivot de la gouvernance globale. À lui de saisir cette place. Ou de la subir.
Cartographier les scénarios de convergence IT : 4 chemins possibles
Dès lors que la fusion est actée, une question s’impose au responsable informatique: comment faire cohabiter deux systèmes d’information sans compromettre ni la sécurité, ni la continuité, ni la performance ?
Il n’existe pas de réponse universelle. Chaque contexte impose ses propres contraintes : historique des SI, architecture, culture IT, budget, calendrier, niveau d’intégration attendu… Mais quels que soient ces paramètres, le RSI doit être en mesure de cartographier les scénarios possibles et d’éclairer la décision.
Pierre Hichem Mrabet identifie quatre grands modèles de convergence. Aucun n’est idéal, chacun présente des risques spécifiques. L’important, c’est de les anticiper — pas de les subir.
1. L’absorption : garder un seul SI (celui qui est le plus robuste ou structuré)
C’est souvent le choix privilégié lorsque l’une des deux entreprises a un SI clairement supérieur. Cette option permet une intégration rapide, une rationalisation des outils, et une clarté des rôles.
Mais elle suppose d’absorber tous les processus de l’autre entité dans un cadre existant — ce qui peut générer une forte résistance au changement, notamment si le SI conservé n’est pas celui de “l’acquéreur”.
Elle nécessite aussi un provisionnement très propre des accès pour éviter les effets de bord (droits résiduels, erreurs d’appartenance, double identité).
2. La fusion “best of breed” : composer une solution hybride à partir des meilleurs éléments des deux SI
Séduisante sur le papier, cette approche cherche à combiner le meilleur des deux mondes. Elle peut fonctionner à condition d’avoir une vision claire des processus cibles, une capacité à recentraliser les données, et un outillage adapté pour orchestrer les accès et les rôles.
Mais en pratique, on tombe souvent dans l’usine à gaz : des systèmes disparates mal intégrés, une complexité de gestion exponentielle, et des problèmes de compatibilité.
Comme le dit Mrabet : “Le mieux est l’ennemi du bien.”
3. La cohabitation : maintenir les deux SI en parallèle et les interfacer
C’est le choix du pragmatisme. Il permet une transition en douceur, le temps de décider de la cible à long terme. Il évite de forcer trop vite les équipes à abandonner leurs outils.
Mais ce scénario est coûteux en maintenance, complexe à sécuriser (accès multi-tenant, shadow IT, duplications de rôles), et fragile à moyen terme. Il peut créer un climat d’ambiguïté qui freine l’appropriation de la fusion.
4. La reconstruction totale : repartir d’une feuille blanche
Idéal en théorie : repartir sur un SI neuf, moderne, aligné sur les besoins de l’entité fusionnée. Cette option n’est viable que si les deux SI sont obsolètes ou ingérables.
Mais elle demande beaucoup de temps, d’argent, de consensus… et une gouvernance sans faille. En général, on la réserve aux contextes où 'linformatique devient un levier majeur de transformation (recentrage métier, cloud natif, etc.).
👉 Quelle que soit l’option retenue…
Le RSI doit veiller à deux points structurants :
- L’inventaire précis des identités, des comptes et des accès : pour éviter les doublons, les trous dans la raquette ou les éléphants invisibles.
- La capacité à tracer et documenter chaque étape : pour répondre aux audits, prouver la maîtrise des risques, et sécuriser l’adhésion interne.
Et pour cela, mieux vaut disposer d’une brique IAM légère, interopérable, qui permet de reprendre la main sur la gestion des droits sans attendre que toute l’architecture soit figée.
Ce livre blanc vous aide à identifier les coûts cachés de vos processus manuels (licences inutilisées, pertes de temps, risques de sécurité...) et à évaluer concrètement le ROI d’une automatisation. 📖
À l’intérieur :
- Des chiffres concrets issus d’un cas réel.
- Les erreurs à éviter dans l’évaluation des coûts.
- Des conseils pour objectiver votre projet IAM
Ne pas oublier l’essentiel : les équipes IT, les RH et la communication
Dans une fusion, les chantiers techniques sont lourds. Les choix d’outils, d’architecture ou de processus monopolisent l’attention. Mais ce serait une erreur de négliger l’élément le plus fragile — et souvent le plus impactant : l’humain.
Le RSI ne pilote pas uniquement des flux de données et des migrations d’accès. Il manage une équipe sous tension, dans un contexte où l’incertitude est maximale. Et il interagit avec des utilisateurs qui, eux aussi, cherchent des repères dans un système qui évolue.
Ignorer cette dimension revient à créer un climat de défiance, d’usure, voire de sabotage passif. C’est précisément dans ces moments-là que l'informatique peut perdre ses talents… ou renforcer sa crédibilité.
L’IT : un levier de stabilité… ou de rejet
Comme le souligne Mrabet, le facteur humain détermine en grande partie le succès d’une fusion. Et cela commence en interne, par l’équipe IT elle-même :
“Il faudra être présent, à l’écoute, et communiquer sans cesse. Faute de quoi, le RSI risquera fort d’avoir à gérer démotivations, procès d’intention, conflits... et la perte de collaborateurs clés.”
Les rumeurs internes, les silences prolongés, les changements de gouvernance flous créent un terrain propice au retrait. Certains profils critiques quittent le navire au pire moment. D’autres freinent des quatre fers.
Or, l’équipe informatique est en première ligne : elle pilote les chantiers de convergence, résout les bugs, absorbe les tickets utilisateurs, sécurise les nouveaux accès… sans marge d’erreur.
Impliquer les RH dès le départ
Trop souvent, les RH sont mobilisés uniquement sur les plans sociaux ou les ajustements contractuels. Mais elles ont un rôle majeur à jouer dans la fusion des équipes IT :
- clarifier les rôles et les rattachements hiérarchiques,
- accompagner les profils fragiles ou critiques,
- définir les process d’intégration (onboarding des ex-équipes de l’autre entité),
- gérer les éventuels doublons ou recouvrements de postes.
Le RSI doit donc être en dialogue permanent avec les RH pour anticiper les mouvements, planifier les besoins, et éviter que la technique masque un malaise structurel.
Communiquer, expliquer, embarquer
Enfin, il y a l’ensemble des utilisateurs. Ce sont eux qui vivront au quotidien les effets de la fusion IT : nouveaux outils, nouvelles procédures, nouvelles règles d’accès.
S’ils ne comprennent pas ce qui se passe — et pourquoi ça évolue — ils rejetteront le changement, blâmeront le système… et pointeront l’IT comme responsable.
C’est pourquoi la communication ne peut pas être une variable d’ajustement. Il faut :
- expliquer les étapes du projet IT (avec un niveau de vulgarisation adapté),
- donner des perspectives claires (“ce qui change, ce qui ne change pas, quand”),
- prévoir un support renforcé pendant les premières semaines post-fusion,
- documenter les nouvelles procédures (accès, demandes, incidents).
En résumé : le RSI doit jouer un rôle de chef d’orchestre, à la croisée de la technique, de l’humain et du politique. Et sans alignement sur ces trois fronts, la plus belle architecture technique risque fort de s’effondrer au premier accroc.
5 leviers concrets pour faire entendre la voix du RSI dans une fusion
Il ne suffit pas d’avoir raison techniquement pour être écouté dans une fusion. Le RSI ne doit pas seulement démontrer sa compétence, il doit défendre une vision et s’imposer comme un acteur structurant du processus, dès les premières phases.
Voici cinq leviers concrets pour ne pas subir la fusion… mais en devenir un des architectes.
1. Cartographier les risques avant qu’ils ne vous explosent au visage
La première force du RSI, c’est sa capacité à voir ce que les autres ne voient pas. Shadow IT, dépendances applicatives, failles dans les droits d’accès, doublons de comptes… Autant de menaces silencieuses qui peuvent faire capoter une intégration, ou retarder les synergies espérées.
En dressant très tôt une cartographie des risques IT, vous passez d’une posture défensive à une posture d’anticipation. Et vous crédibilisez votre rôle dans les décisions stratégiques.
2. Apporter des KPI qui parlent aux décideurs
La direction générale ne parle pas LDAP, provisioning ou SSO. Elle parle coût, délai, performance, sécurité. C’est à vous de traduire vos enjeux techniques en indicateurs compréhensibles :
- Combien de comptes seront à migrer ?
- Quel est le risque d’avoir des droits résiduels ou incohérents ?
- Combien de jours-homme sont économisables avec un provisioning automatisé ?
- Quel impact sur le temps d’onboarding des nouveaux collaborateurs ?
Les métriques sont votre meilleure arme de conviction. Surtout si elles montrent que l’IT peut accélérer la fusion, au lieu de la freiner.
3. Parler métier, pas uniquement infrastructure
Dans une fusion, les métiers sont sur le qui-vive. Ils veulent des garanties : pouvoir continuer à travailler sans interruption, retrouver leurs outils, ne pas subir une perte de performance. C’est en répondant à leurs besoins que vous gagnerez des alliés.
Il faut donc sortir du discours technique pour adopter un discours orienté usage : quelles applications critiques ? Quels workflows sensibles ? Quels profils doivent être traités en priorité ? Quels rôles doivent être révisés ou harmonisés ?
C’est aussi l’occasion de montrer que vous pouvez structurer les accès selon les fonctions et non selon les SI, via une approche par rôle — même dans un environnement encore fragmenté.
4. Identifier (et activer) les bons sponsors internes
Le RSI seul ne peut pas imposer sa voix. Il lui faut des relais. Et souvent, ces relais se trouvent :
- côté RH (pour tout ce qui touche à l’identité, aux rôles, aux process d’intégration),
- côté Sécurité / RSSI (qui sera sensible aux risques d’accès ou de fuites),
- côté Direction financière (qui peut voir dans la rationalisation IT un levier d’économies).
En vous appuyant sur ces sponsors, vous augmentez votre surface de légitimité. Et vous sortez de l’image du “gardien du système” pour devenir un chef de projet de transformation.
5. Identifier les quick wins techniques et organisationnels
Enfin, dans le flux de décisions stratégiques, rien ne vaut une victoire rapide, visible et mesurable. Cela peut être :
- la mise en place d’un portail unique pour gérer les demandes d’accès pendant la phase transitoire,
- l’automatisation du provisioning sur une application critique,
- la désactivation propre de tous les comptes d’ex-collaborateurs via une règle consolidée,
- la documentation des droits sur un périmètre sensible (ex : RH, Finance).
Ces actions visibles donnent du crédit à l’IT, rassurent les parties prenantes, et montrent que le RSI est dans l’action, pas dans le blocage.
Conclusion : dans une fusion, l’IT ne doit pas suivre — il doit éclairer la route
Une fusion d’entreprise n’est pas qu’un exercice juridique ou financier. C’est un choc organisationnel profond, où l’IT joue un rôle clé mais trop souvent invisibilisé. Pourtant, c’est à travers lui que se matérialisent les synergies… ou que se cristallisent les tensions.
Le RSI ne peut plus être cantonné à la technique. Il est garant de la continuité, de la sécurité, de la traçabilité, et de la crédibilité opérationnelle de l'opération. S’il ne prend pas sa place dès les premières discussions, il la subira. Et portera, seul, le poids des dysfonctionnements.
Ce qu’il faut retenir :
- L’IT n’est pas une “brique à raccorder”, c’est une structure à piloter.
- L’humain, la gouvernance et les accès sont tout aussi cruciaux que les outils.
- Le RSI doit sortir de son rôle d’exécutant et devenir un acteur stratégique de la fusion.
Et cela commence maintenant : en posant les bonnes questions, en documentant les risques, en identifiant les leviers rapides… et en montrant que l’IT peut être un accélérateur de convergence, pas un frein.
👉 Si vous êtes dans cette situation et que vous cherchez des moyens concrets pour structurer la gestion des accès et des droits pendant une fusion, vous pouvez réserver un échange avec notre équipe ou découvrir comment Youzer peut vous aider à reprendre le contrôle sans complexité inutile :
Vous souhaitez juste échanger rapidement 15 mn avec un expert pour savoir si Youzer correspond à votre problématique ?